Le figuier
Quel est l’arbre qui vous fait penser à l’été ?
Pour moi, sans hésiter, c’est le figuier.
Fichi, Bartolomeo Bimbi – 1696
J’ai le sentiment que chacun.e d’entre nous possède son propre rituel de dégustation pour son fruit*. Les plus patient.es le pèlent pour ne profiter que de son cœur. D’autres le mettent entièrement dans la bouche et utilisent leurs dents pour sectionner le pédoncule avant de mâcher. Selon moi, c’est un fruit qui fait incontestablement appel au sens du toucher, un fruit avec lequel on ‘joue’, que l’on prépare à notre manière avant de le consommer.
Pour ma part, mon rituel commence au moment de la cueillette. Je ne cherche pas l’arbre, c’est son odeur qui m’indique sa présence. Un heureux hasard, ce moment où je repère sa silhouette dont une ou plusieurs branches dépassent des frontières du jardin où il pousse. Des chanceux.ses se sont déjà servis avant moi, alors c’est sur la pointe des pieds que je me mets à fouiller parmi ses feuilles coriaces pour trouver le fruit qui aurait mûri entre toutes ces glanes. Je ne me fie pas à sa couleur puisqu’un arbre peut porter des figues blanches, rouges, vertes, grises ou encore noires, mais à sa texture. Puis, je viens l’ouvrir en deux pour observer sa chair avant de mettre chaque moitié en bouche. Ses graines viennent alors craquer sous mes dents.
Je trouve que le figuier est une parfaite représentation de l’été, lorsque l’on mange le plus souvent cru, ou avec très peu de cuisson. Cette saison où la cueillette au jardin-potager est quasi quotidienne, très abondante et délicieusement odorante. Une saison féconde.
La symbolique du figuier
POMPEI
Panier de figues
Villa de Poppée à Oplontis (79 avant J. C.)
En Grèce Antique, les statue de Priape, dieu de la Fécondité étaient taillées dans le bois tendre du figuier.
En Grec, le verbe sykadzein – cueillir des figues - s’employait aussi pour dire « tâter, explorer, comme on tâte des figues pour voir si elles sont mûres », mais dans un sens obscène car dans la figue, les Grecs voyaient l’image du scrotum.
“Dans certaines régions montagneuses d’Afrique du Nord, la figue est synonyme de "testicules" de sorte que le mot ne s'emploie pas dans la conversation courante et est remplacée par Khrif : l'automne.”
La figue évoque aussi la vulve, lorsqu’elle est ouverte (en italien, le mot fica désigne à la fois vulve et figue ;). Son suc – le latex laiteux – quant à lui évoque… le sperme et les minuscules et innombrables graines, les spermatozoïdes.
“Bien que cette débauche soit fertile, il semble malgré tout qu’elle provoque une certaine peur. Le figuier inquiète. Peut-être parce qu’il est difficile de savoir s’il est mâle et femelle. Peut-être parce qu’en lui les principes contraires fusionnent dans l’idée d’une certaine violence sexuelle. Mâle ou femelle se manifestent en lui par la même production d’une sève blanche, appelée latex. Cette sève est associée, chez les Latins, aussi bien au lait de la déesse Rumina (qui allaite) qu’au sperme du dieu Mars (qui tue).
Et c’est pourquoi c’était toujours sur un bucher de bois de figuier qu’à Rome on brûlait les monstres, d’après Macrobe, tandis qu’en Grèce, selon Lucien, on en faisait autant pour les livres impies, non que le figuier fut purificateur, mais au contraire parce qu’il présentait avec ces objets impurs une affinité certaine.
Plutarque note que le figuier était considéré comme un arbre chaud ; il exhalait “des émanations fortes et violentes“ et son bois était remarquable par son “acrimonie“ ; “quand on y mettait le feu, il dégageait une fumée tres âcre et très piquante.”
Beaucoup d’histoires ont été écrites sur cet arbre, retrouvez-en davantage ici.
Qui est-il ?
Le figuier (Ficus carica) est un arbre au port étalé et à l’écorce lisse pouvant atteindre 4 à 5 m de hauteur. Il pousse dans des sols pauvres, au soleil et à l’abri du vent. Ses feuilles caduques sont rugueuses mais duveteuses au revers, épaisses et brillantes et de formes variables.
La reproduction des figuiers repose sur une « triple symbiose » entre un insecte parasite, le blastophage, les fruits d’un figuier mâle (caprifiguier) et les fleurs d’un figuier femelle qui donneront les figues que l’on consomme. Je vous laisse approfondir cela par vous-même, c’est passionnant ! Arbre méditerranéen par excellence, le figuier peut se cultiver dans le Nord mais il faudra sélectionner des variétés autofertiles qui fructifieront sans l’intervention du blastophage.
*La figue est un faux-fruit : c’est un sycone qui renferme en réalité les akènes qui sont les véritables fruits.
Bienfaits
Les figues contiennent des sucres, peu de protéines, des vitamines A, B1, B2, PP & C et des sels minéraux. Elles sont très nutritives, pectorales et laxatives. Les bourgeons en gemmothérapie sont utilisés pour soulager les douleurs articulaires, les digestions difficiles et les affections cutanées. Le suc laiteux des tiges est caustique, on l’utilise frais pour éliminer les verrues. Il est dangereusement irritant pour les muqueuses.
Ses usages culinaires
Le latex est utilisé depuis l’Antiquité comme présure pour faire cailler le lait lors de la préparation de certains fromages.
Le dessert turque incir uyutması utilise des figues séchées que l’on laisse macérer dans du lait toute une nuit pour en faire une sorte de pudding pour le petit-déjeuner.
Les figues séchées peuvent être torréfiées pour en faire un café de figues, populaire en Argentine (cafe de higo)
“The Romans, who relied on Jewish slaves to do the force-feeding, used figs, and referred to it as iecur fīcātum, or (roughly) figged liver.”
“In Latium during the famine people used to eat the "cuzzumbrigli", small unripe figs boiled and seasoned.”
Les feuilles de figues infusées dans l’eau froide donnent une boisson rafraichissante aux diverses vertus.
Les feuilles de figuier peuvent être consommées cuites et farcies à la façon des feuilles de vignes (Dolmadakia). Il suffit de les cuire une trentaine de minutes au préalable dans l’eau salée, de les farcir avec un mélange de votre choix (base de riz ou de pommes de terre par exemple), de les plier et de les cuire à l’étouffée durant une vingtaine de minutes. La cheffe Kaitlyn Reinhart donne une très chouette recette ici.
Recette : Beurre de figues noires
Ingrédients pour 1L :
4 tasses de figues noires sèches (1L)
1 cas de sel
60ml de petit-lait
60 à 125ml de miel cru selon votre goût
De l’eau, autant que nécessaire
Équeutez les figues et faites-les tremper 1h dans l’eau chaude
Mixez tous les ingrédients pour obtenir une purée lisse. Si besoin, ajoutez de l’eau pour que les lames tournent sans problème et sans surchauffer.
Versez le mélange dans un bocal de 1L. Si besoin, rajoutez de l’eau et mélangez jusqu’à ce que la préparation monte juqu’à 2,5 à 4cm sous le bord du bocal ;
Fermez hermétiquement et laissez à température ambiante pendant 2 jours ou jusqu’aux premières bulles, puis rangez au rayon supérieur du réfrigérateur. Au bout de 3 semaines à 1 mois, il sera délicieux. Consommez dans les 2 mois.
Sources :
Ouvrages :
Fermentations ! - Sandor Ellix Katz
Le Régal Végétal – Francois Couplan
Guide Delachaux des arbres d’Europe – Owen Johnson & David More
La Bible des plantes qui soignent – Michel Pierre
En ligne :
Que signifie «faire la figue ?»
Wild food plants used in Sicily
Foie Gras: An Old Delicacy, an Old Guilt
Le figuier : histoire, rituel et symbolisme en Afrique du Nord